Au Mans, un projet intergénérationnel inédit favorise les échanges entre lycéens et seniors. Chaque semaine, des élèves du lycée Saint-Charles-Sainte-Croix se rendent à la résidence Le Monthéard pour recueillir et immortaliser les récits de vie des aînés sous la forme d’un livre.
Des mots pour créer des ponts entre les générations
Tout a commencé pendant la période du confinement. Anne-Dauphine Julliand, présidente de l’association Ce Qui Compte Vraiment, est alors frappée par un contraste saisissant : d’un côté, une adolescente de 15 ans affirme sur les réseaux sociaux n’avoir « jamais vécu pire » ; de l’autre, des personnes âgées qui, pour certaines, ont connu la guerre. Ce décalage de perception entre générations fait naître en elle une idée lumineuse : créer des ponts entre ces deux jeunesses séparées par plusieurs décennies.
Concrètement, le dispositif mis en place est le suivant : chaque semaine, un lycéen se rend à la maison de retraite du Mans Le Monthéard pour retrouver « son » senior. Les rencontres se déroulent dans l’intimité de la chambre du résident, dans les espaces communs ou au sein du salon de l’unité de vie, selon les préférences de chacun. Équipés de carnets de notes ou d’enregistreurs, les jeunes recueillent précieusement chaque parole et chaque anecdote afin de les consigner le plus fidèlement possible.
Au départ, certains résidents étaient hésitants, estimant que leur parcours n’avait rien d’extraordinaire pour mériter d’être couché sur papier. Mais au fil des rencontres, la magie opère : ils prennent conscience que leurs souvenirs, même les plus ordinaires, fascinent leurs jeunes interlocuteurs et constituent un patrimoine inestimable qui a tout à fait sa place dans un livre.
Des rendez-vous hebdomadaires très attendus
Ce qui devait être initialement un simple recueil de témoignages se transforme rapidement en une aventure humaine exceptionnelle. Au-delà des mots échangés, ce sont de véritables relations qui se tissent entre ces binômes. Les rendez-vous hebdomadaires sont des moments attendus avec impatience, tant par les lycéens que par les résidents. La régularité des visites permet d’instaurer une relation de confiance, indispensable pour que les aînés puissent se livrer sur des aspects parfois intimes de leur existence.
« J’ai partagé des choses que je n’avais jamais racontées. C’est comme une séance chez le psy », confie une résidente, illustrant parfaitement la dimension thérapeutique de ces échanges. Pour beaucoup, c’est l’occasion de revisiter des souvenirs profondément enfouis, de leur offrir une nouvelle vie en les partageant.
Pour les lycéens, l’expérience est tout aussi transformatrice. Formés à l’écoute active et à la rédaction, ils développent des compétences précieuses tout en découvrant des parcours de vie issus d’époques qu’ils n’ont connues qu’à travers les manuels scolaires. La relation qui se noue transcende souvent le cadre initial du projet. Des liens affectifs se créent, profonds et durables.
Témoignages bouleversants et moments forts
Les récits qui émergent de ces rencontres sont parfois bouleversants. Une lycéenne raconte comment sa perception du quotidien a été modifiée après avoir écouté son binôme : « Il m’a raconté la première fois qu’il a eu un robinet chez lui, cette eau qui coulait sans qu’il ait à la chercher à la fontaine ou au puits. En rentrant chez moi, je n’ai pas ouvert le robinet de la même façon. »
Ce témoignage illustre parfaitement la prise de conscience que ces rencontres provoquent chez les jeunes, souvent peu conscients des évolutions considérables qu’ont connues nos modes de vie en quelques décennies. Les récits de guerre, de restrictions, mais aussi de solidarité et de joies simples, sont autant de leçons de vie qui peuvent durablement marquer les adolescents.
Certains résidents en viennent à confier des souvenirs qu’ils n’avaient jamais partagés auparavant, même avec leurs proches. Cette libération de la parole témoigne de la qualité d’écoute dont font preuve les lycéens, mais aussi du caractère presque sacré de cette transmission entre générations.
Des bénéfices partagés et une mémoire préservée
Les bénéfices de ces rencontres sont multiples et concernent tous les participants. Pour les résidents de la résidence Le Monthéard, c’est l’assurance de laisser une trace, de voir leur histoire valorisée et préservée à travers le temps. C’est aussi l’occasion de se sentir écoutés, reconnus dans leur parcours, à un âge où l’on peut parfois avoir l’impression d’être invisible aux yeux du monde.
Pour les lycéens, au-delà de l’expérience humaine enrichissante, c’est l’opportunité de développer des aptitudes concrètes : écoute active, techniques d’entretien, rédaction, mise en page… Mais c’est surtout une leçon d’humilité et une nouvelle perspective qui leur est offerte, un recul nécessaire sur leurs propres difficultés à l’aune des épreuves traversées par leurs aînés à leur âge.
Le point culminant du projet est sans conteste la cérémonie de remise des livres. Moment d’émotion d’une rare intensité, elle voit chaque résident recevoir des mains de son binôme lycéen l’ouvrage retraçant son histoire. « Ça, c’est toute ma vie. Maintenant, je te considère comme ma petite-fille », confie une résidente émue à la lycéenne qui a recueilli son récit.
Ces livres sont des objets précieux, tant pour les résidents que pour leurs familles. Certains proches découvrent avec étonnement des aspects méconnus de la vie de leur parent ou grand-parent. Ces récits de vie deviennent alors un support de mémoire familiale, un véritable héritage qui pourra traverser les générations. À l’heure où les liens intergénérationnels tendent parfois à s’effacer, des initiatives comme celle-ci démontrent qu’il existe encore une soif réciproque d’échanges et de transmission !